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Rêve de May
5 octobre 2013

Lugia

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Le vent frais de la nuit aurait pu emporter la maison et ses fondations branlantes, nous empêchant ainsi d'accomplir cette folie. Nous avions fait notre choix, et plus rien ne nous arrêterait. Pour elle.

Amelle était, par le passé, notre meilleure amie. On l'admirait, elle et ses longs cheveux roux. Avec elle, aucun jour n'était semblable à la veille. Jamais on ne s'était autant amusés que dans les fourrés en sa compagnie. Mais la jeune fille avait été choisie, comme des centaines avant elle. Elle devait tenter l'impossible avec d'autres jeunes, et pénétrer dans la maison de l'enfer. Ce grand manoir sombre devant lequel on se trouvait désormais. Ce grand manoir où elle a péri l'année passée, après des centaines d'autres, contraints ainsi à se sacrifier.
La tanière de Lugia.

Aujourd'hui, nous étions trois à s'être portés volontaires. Trois à pénétrer dans le manoir délabré. Trois à tenter l'impossible. Pour elle.

Elle ne pouvait être encore vivante depuis tout ce temps sous les décombres bien sûr. Mais pour sa mémoire, nous devions triompher de ce monstre qui avait déjà fait bien trop de victimes. Détruire celui qui avait tant détruit, qui l'avait détruite. Si nous pouvions faire encore une dernière chose pour elle, c'était bien ça. C'est ce qu'elle aurait voulue. Mais alors pourquoi mes mains ne cessent de trembler ?


Je n'étais pas seule dans cette folie. Jérémie, Sarah, nous étions ensemble à se sacrifier. Personne n'était jamais revenu vivant, mais nous n'avions plus la force de faire nos adieux à nos familles. Un pas, puis un autre. Derrière nous, nous laissions un monde en friche, dévasté par les flammes de Lugia. Des mères qui pleuraient, des amis dévastés.
Tout mon corps me criait de partir, loin, le plus loin possible. Fuir mon destin, fuir la mort qui s'annonçait. Fuir la mort que j'avais choisie.

« Faites vos adieux. Il est l'heure »

Nous avions eu la chance d'éviter d'avoir une sévère bureaucrate comme témoin de ce massacre. La procédure était ainsi, nous ne pouvions pas en vouloir à ce petit bout de femme larmoyants juchée sur ses talons hauts. Nous avions choisi ce sort. Cette mort, nous l'avions décidée.

Une main serra la mienne, puis une autre. Jérémie m'observait, ses yeux droits dans les miens. Nous n'avions plus le choix. Sarah souriait, les larmes aux yeux. Non, on ne pouvait pas fuir.
Encore un pas, puis un autre, tous ensemble. Je n'osais plus penser à rien, de peur que ce soit ma dernière pensée. Sans un mot, nous poussâmes la porte du manoir. L'intérieur puait la mort, le sol était poisseux sous nos pieds. La combinaison prêtée pour ce jour collait à la peau, nous rendant chaque pas à faire un peu plus douloureux que le précédent. Mais rien, non, rien ne pourrait nous arrêter. L'esprit vide, nous nous retournions pour une dernière fois, voir ceux qu'on aimait disparaître dans l'embrasure de la porte, avant de nous abandonner dans les ténèbres, sans espoir de secours.

Nous passâmes un instant, mains dans la main, à écouter nos respirations. Nos souffles par-dessus un autre. Un autre, puissant, rauque, tout droit sortit des limbes. Dans la pénombre, nous n'arrivions qu'à distinguer les contours des restes de cadavres que nous ne voulions pas voir. Lugia ne devait pas se trouver à cet étage. Face à nous, un grand escalier de marbre avait survécu aux années et au accès de colère de la créature. Je n'osais l'imaginer se présenter face à nous, et nous tuer. Lugia et ses yeux jaunes, devenir rouges. Baignés dans le sang.
Les mains de mes amis tremblaient autant que les miennes. Mais aucun ne recula. Pour elle. Nous avions chacun une lame accrochée à la ceinture, destinée à se planter dans le cœur de la bête, à ne pas échouer comme des centaines d'autres avant elles.


Cet instant avait trop duré. Comme convenu, Sarah devait partir à gauche, Jérémie à droite, et moi, devant. Nous ne voulions pas nous voir mourir ensemble. Il aurait été plus prudent de ne pas rester seuls peut-être, mais nous nous étions résignés à mourir, secrètement. Derrière nos belles paroles, nos rêves d'avenir, nous savions chacun quel serait notre destin. Quelle mort nous attendait derrière ces grandes portes noires.

Je sursautai quand les mains de mes amis se détachèrent des miennes. Nous y étions. C'était la fin. Sans jeter un regard en arrière, je me jetais dans les grands escaliers. Si je devais mourir ce soir, je voulais voir le ciel une dernière fois. Les étoiles devaient être magnifiques.

Haletante, je courais sans m'arrêter dans les hauts escaliers. Le contact de la pierre était froid sous mes bottes. Le souffle de la bête avait cessé, prouvant ainsi qu'elle entreprenait de nous retrouver pour nous tuer. Chaque pas était un calvaire à supporter, mais je gardais la tête haute. Peut-être qu'en ce moment, tous mes amis sont morts. Peut-être qu'à l'heure qu'il est, je ne possède plus rien. Je suis peut-être seule au monde.

Le goût du sang me montait à la gorge, pendant que je continuais à grimper les marches de cet immense escalier, qui ne me mènerait sûrement nul part.

Enfin, un de mes pieds flotta dans le vide. Je réussis à me freiner à temps. En haut du manoir se dessinaient des décombres, puis le vide en dessous. Seule face à la nuit, j'écartais mes bras, espérant que le vent m'emmène avec lui, loin d'ici. Là où le destin serait plus clément. Les étoiles brillaient au-dessus de moi. Je n'étais qu'une ombre orpheline dans la nuit noire, debout sur les vestiges de l'enfer. Rien ne pouvait m'arrêter.


Face à moi, la nuit fut soudain couverte d'un épais manteau noir. Une forme ténébreuse, où seuls deux billes dorées se distinguaient. Deux yeux jaunes qui me fixaient.

Prêtes à accepter mon sort, je ne bougeais pas. Immobile, je tins tête au regard que me lançait la bête de la nuit. Sans dégainer mon épée, j’attendais patiemment qu'elle dévore mon âme, me faisant valser, ombre parmi les ombres du trépas. Le souffle de Lugia, sonore, rythmait les battements de mon cœur. Lentement, il s'approcha de moi. Je n'avais plus peur, je n'étais pas paniquée. Je ne faisais qu'attendre mon sort arriver.
Je fermais les yeux, espérant mourir sans douleur.


La caresse sur ma peau n'avait rien d'humain. Lugia était si proche qu'il touchait mon bras. Je sentais son souffle sur ma peau. Son souffle de meurtrier. Lentement, je refermais mes bras sur la tête de la bête, et touchai sa peau étonnamment douce.
Un instant, nous restâmes ainsi, l'un contre l'autre. Je ne pensais à rien, à peine consciente de la situation. Puis, doucement, Lugia se détacha de moi, me laissant toute à la contemplation de ses yeux jaunes, si profond.
Puis il partit silencieusement.

« Lola ! Réveilles-toi ! »

Jérémie était au-dessus de moi. Nous étions dehors, il faisait jour et une dizaine de regards m'observaient. Une seconde de silence, puis une explosion de joie parcourut la foule, me vrillant ainsi les oreilles. Une main me tira par le col pour me remonter, et m’enlaça. Sarah me serra contre elle, mouillant ma chemise de ses larmes :

« On est vivants Lola. On est tous vivants. Grâce à toi. »

Je ne comprenais plus la situation, mais j’enlaçai Sarah en répétant ses mots, emplis de soulagement :

« On est vivants... On est vivants... On est vivants... » 

[Image par @_SoraNoHoshi]

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Commentaires
L
moi j'y vois une réaction à la souffrance et la mort par... la tendresse, simplement.
P
La fin. Omg. C'est parfait car tu nous laisses imaginer un tas de choses. C'est parfait car grâce à cela notre imagination fonctionne ! C'est très sombre mais qu'est ce que j'aime ça ! C'est vraiment très bien. Très bon texte.
N
Je pense savoir qu'elle était l'élu, et que par jenesaisquelleraison, Lugia a décidé de se rendormir dans les profondeurs du manoir, laissant la Terre à son sort. Après, ce n'est qu'une supposition.<br /> <br /> Ce texte est très bien écrit. Il y a plein de point sombre, gros plus car il nous laisse imaginer plein de chose, et le mystère dans les histories, c'est le bien.<br /> <br /> Y'aime <3
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