Yokai - Blue
« Trop de lumière, trop fort la musique. Mais non, pas comme ça ! Ah, c'est pas possible, des incapables pareils. Ils ont fini avec les loupiotes là ? Et ils sont mous ces biscuits. C'est vraiment n'importe quoi, comme fête. Et puis, c'estquoi ces invités là ? Ils se sont crus à Disneyland ? Je les connais même pas. Et qu'est-ce que je fous là, au juste ? »
Et bien sûr, aucune oreille pour entendre mes jérémiades. Juste un gars à moitié bourré sur le buffet. Si j'avais su, je serais pas venue. Ces petites fêtes d'adolescents où on se battait pour être invités n'étaient peut-être plus de mon âge. Il n'y avait que le beau brun, au fond de la pièce qui me retenait encore ici. Cet imbécile restait là, dans son coin, oublié des lumières multicolores. À force de l'épier, je remarquais qu'il ne cessait d'observer le cadran de sa montre. Vu comme il avait l'air mal à l'aise dans sa chemise trop bien repassée, il ne devait pas être habitué de ce genre de fête. Il devait attendre quelqu'un, sa copine sûrement. Je n'avais personne pour lui demander son nom.
Il devait être vingt heures trente. Pas plus, pas moins. Je suis assez douée pour deviner l'heure. C'était assez amusant de voir tout le monde se dandiner sur la piste comme des babouins. Personne ne sait bien danser à quatorze, quinze ans. J'étais venue pour accompagner une amie, comme je n'avais rien de mieux à faire ce soir. Je pouvais deviner son excitation sur ses joues, à danser avec le garçon de ses rêves. Un blondinet, un peu trop jeune à mon goût. Elle trépignait d'impatience de le voir, son Vincent. Quelle joie ce devait être pour elle quand il vint vers elle pour lui proposer de danser. Et moi, je ne pouvais que les regarder comme une idiote. J'avais profité de l'occasion pourtant. Jolie petite robe noire, escarpins blancs, boucles d'oreilles dorées... Après tout, j'étais enfin célibataire, alors j'avais envie de faire quelques rencontres.
Le brun d'en face qui semblait s'être résigné à attendre en déprimant sur son jus d'orange aurait été un bon exemple. Mais je n'avais plus trop la patience d'attendre le quart d'heure américain pour un crétin romantique.
Tandis que je me levais pour gagner la sortie, je rentrais dans quelqu'un et tomba entre les chaises derrières moi, en renversant plusieurs au passage. Je m’apprêtais à crier quand je sentis la chaleur d'un regard sur moi.
« Hey, ça va ? »
Dans mes rêves les plus fous, ou les romans à l'eau de rose, ce serait sur le beau brun que je serais tombée. Mais non, il fallait que ce soit un idiot plus jeune que moi. Je me relevais d'un bond :
« Ouais, ça va. »
Je n'aimais pas le voir me fixer de haut. Maintenant que j'étais à sa hauteur, je pouvais mieux me focaliser sur ses yeux. Et quels yeux ! Deux perles, deux larmes du bleu le plus captivant que je n'avais jamais vu. Un bleu translucide, comme on en voit dans les plus claires rivières de montagne. Sans avoir le temps de réaliser, il me tendait la main.
« On danse ?
-Si tu veux. »
Maudits soit les adolescents et leurs pratiques de la langue. Cet imbécile aurait pu trouver mieux, comme phrase d'accroche. Même pas un bonjour. Je ne connais même pas ton nom ! Tu aurais dû me demander « Une petite danse ? » ou encore « Je t'offre mes bras pour une chanson, en consolation pour ta robe froissée. ». Oui, je t'aurais pris pour un bourgeois détraqué, mais ça aurait eu le mérite d'être original ! Et c'est bien de ta faute si elle est froissée, ma robe. Dire que j'avais mis la noire, celle qui vole quand je danse. Je ne sais même plus pourquoi j'ai accepté. Sûrement à cause de ses yeux. Quelque chose dans ses yeux me disais que j'étais là pour lui. Juste pour toi. Est-ce que c'est pour tes yeux que je suis venue ici aujourd'hui ? Mais n'y pensons plus. Dansons, puisque tu me l'as proposé !
La musiques était loin d'être adaptée à nos pas, mais je l'aimais bien. Sans un mot, tu me fixais avec ton sourire niais. Vraiment, tu as l'air d'un idiot. Sans y avoir pensé, sans s'être concertés, on dansa ainsi deux, trois, puis j’arrêtais de compter les mélodies. Pourtant, tu n'as rien pour plaire. Trop petit pour que je puisse me plonger à l'infini dans tes yeux. Toujours, je les voyais, je les contemplais, mais ils s’esquivaient, comme gênés. Puis ils revenaient, au fil de la danse. C'est bien cruel comme jeu. Et qu'est-ce que tu peux être ennuyeux ! Et tu ne danses pas très bien. Oui, ça ne devrait pas exister un empoté pareil ! Aïe, c'est mon pied ça !
Un slow fit son apparition, et tous les couples déjà formés se rassemblèrent sur la piste. Au loin, je pouvais apercevoir Vincent avec mon amie et je ne pus m'empêcher de leur adresser un clin d’œil de félicitations. Curieusement, pas un seul couple d'amis ne surgirent sur la piste. D'habitude, dans ce genre de slows, il y avait toujours une fille et sa pote pour casser l'ambiance. Joy était la reine pour ça, mais elle ne devait pas être invitée. En tout cas, je n'avais pas entendu les grelots d’Élodie, et comme elles faisaient la paire, toutes les deux...
L'ambiance était donc des plus romantiques. Malgré ça, je ne quittais pas des yeux mon partenaire, qui gardais ses mains sur mes hanches. Oui, un vrai empoté, mais je commençais à l'apprécier, ce garçon. Mais je ne pus fixer plus longtemps ses deux pierres phosphorescentes qui lui servaient d'yeux, de peur de me faire éblouir peut-être. Lentement, je fermais les yeux et me laissais emporter par la musique. Peu à peu, la mélodie s'inscrivit dans mon esprit, pour s'y imprimer à jamais. J’osai me rapprocher du corps chaud de mon compagnon, en espérant le coller ainsi sur la même longueur d'onde que moi.
La danse se fit légère, comme si nous flottions sur un nuage. Je sentais que quelque chose de magique se passait tout autour de moi. Je frissonnais de plaisir, ou de froid, c'est difficile à dire. Toutes mes émotions s'enchevêtraient pour se perdre dans la musique qui semblait ne jamais en finir. Après tout, il n'était pas si nul que ça, ce garçon. Puis, enfin, la musique cessa. Je rouvris les yeux, pour y laisser s'échapper une larme.
[Image par @_SoraNoHoshi]
Mon mystérieux partenaire avait disparu.
Je serrais contre moi la veste brune que l'apparition portait. Seule preuve qu'il me restait de ne pas avoir rêvé, mais lui était parti. Autour de moi, personne ne semblait étonné. Il devait être parti précipitamment. J'étais seule. Mes deux yeux se remplirent de larmes aussi bleus que les yeux de celui que je commençais doucement à aimer. Mais il n'était plus là.
Au collège, le lendemain, je partis à la recherche de ce mystérieux garçon, dont je ne retrouvai jamais les traces. Personne ne vint réclamer la veste qu'il portait, que je finis par perdre avec les années. Au final, cette journée resta ancrée dans ma mémoire, et ce garçon vivra toujours en mon cœur comme le prince charmant dont je rêvais étant petite.
/https%3A%2F%2Fstorage.canalblog.com%2F31%2F78%2F1144935%2F93785129_o.jpg)
/https%3A%2F%2Fstorage.canalblog.com%2F51%2F24%2F1144935%2F93238874_o.jpg)
/https%3A%2F%2Fstorage.canalblog.com%2F18%2F33%2F1144935%2F93010367_o.png)
/https%3A%2F%2Fstorage.canalblog.com%2F35%2F51%2F1144935%2F92536664_o.jpg)