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Rêve de May
9 septembre 2013

La rose des sables

Sirial


Le sable rouge, puis jaune, puis bientôt blanc. Du sable à droite, à gauche, en dessous, au-dessus, à perte de vue. Sarih commençait à perdre la raison. Voilà des heures qu'il marchait dans le désert brûlant, sans eau ni vivres, après avoir abandonné son chameau épuisé au beau milieu des dunes, près d'une oasis illusoire. Il sentait bien sûr sa fin approcher, mais il gardait espoir.

 

Tel était Sarih, voyageur endurci, continuant de marcher jusqu'à son dernier souffle. Il revenait de la grande ville, de l'autre côté du désert, où il avait effectué sa livraison. Ce n'était pas la première fois qu'il traversait le désert, ça faisait partie de son quotidien. Mais l'argent manquait, et il avait une bouche de plus à nourrir chez lui. Il avait mal calculé son temps et les rations à emporter. Sarih ne devait pas être très loin du village. Il n'avait plus qu'à marcher, sans se poser de questions.
Le soleil tapait sur la tête de l'homme, qui commençait à voir tout autour de lui le sable s'animer, s'élever, pour former un décor des plus réalistes. Des hommes, des femmes, des enfants, marchaient tous dans le désert, près de lui.

Une ville tout entière se formait devait ses yeux gris. Des routes, des carrefours, de grands buildings surplombaient l'horizon. En leur centre, une petite cathédrale surplombée d'une grande horloge indiquait soixante-six heures et cent quarante sept minutes. Enfin, quand l'aiguille ne s'envolait pas vers une autre horloge, quelques mètres plus loin, et que les chiffres ne tombaient pas du cadran. Péniblement, Sarih avançait toujours, bousculant quelques enfants de sables sur son passage. Des mélodies s’immisçaient dans son esprit, agressives, jusqu'à lui percer les tympans. Il croisait à tour de rôle des voitures surmontées de parapluies roulant à plusieurs centaines de kilomètres à l'heure sur le trottoir, des animaux aux couleurs improbables possédant des attributs humains, ou encore de gigantesques poupées flottant dans les airs.

 

Puis, peu à peu, Sarih s'éloigna de la ville, et croisa une petite fille ressemblant en tout point à sa femme, plus jeune, transportant un panier d'osier plein de douceurs. Elle semblait pressée, et ses jupons dansaient derrière elle au rythme de sa course. Aveuglé par la faim, l'homme tendit une main pour tenter d'attraper les biscuits contenus dans le panier. Il réussit à en attraper un, qu'il portât à sa bouche. Le goût amer du sable sec claqua dans sa gorge.


La fin approchait. Sarih ne savait même pas si ce village qu'il voyait au loin était le sien, ou une autre création de son imagination. Les formes commençaient à se fondre les unes dans les autres, les couleurs se mélangeaient, et la vue du grand homme se réduisit bien vite à une bouillie colorée et uniforme sur tout son horizon.
Il avança ainsi plusieurs heures encore, la gorge sèche, souffrant un peu plus à chaque pas. Il pensa à sa femme, qui devait l'attendre à leur maison, à son fils, qui devait travailler aux champs, et à sa fille, qui devait être née pendant son absence. Peut-être qu'il ne les verraient plus jamais. Sa fin approchait, il le sentait au plus profond de lui. Mais peut-être que le peu d'espoir et de dignité qu'il lui restait l'obligeait à avancer, un peu plus à chaque seconde, sans faiblir.

Puis, perçant la ligne de l'horizon, Sahri vit un arbre. Un grand arbre au tronc noir, ses feuilles étaient roussis par la chaleur. Mais surtout, sur cet arbre, comme pour rappeler au voyageur la situation dans laquelle il se trouvait, il y avait des roses rouges parsemées dans le feuillage de l'arbre. Des roses rouges, épaisses, comme il ne pourrait jamais pousser dans un désert ardent comme celui-ci. De grandes roses gorgées d'eau et de soleil.

Sahri s'est approché du grand arbre, vacillant un peu plus à chaque pas. L'arbre, lui, ne faiblit pas, continuant à le persuader qu'il était sûrement bien plus qu'un simple mirage, comme il en voyait depuis le début de son périple. Il était entouré d'une multitude de plantes, des herbes folles aux fleurs sauvages, qui s'entortillaient autour de son fin tronc noir. L'homme épuisé, caressa le tronc lisse de l'arbre, alors qu'il l'imaginait rugueux comme l'écorce arrachée. C'était un arbre plein de santé, dans ce désert sans eau. Sahri, du bout de ses doigts tremblants, toucha délicatement le pétale d'une des roses pendus sur les longues branches sinueuses. Elles étaient fraîches, et douces comme la rosée du matin, mais l'homme n'avait même plus la force ou le courage d'en cueillir une. Lentement, il s'adossa au tronc, et mit fin à sa marche désespérée. Il se laissa glisser le long de l'arbre pour finalement s'asseoir dans les herbes hautes tout autour. Et Sahri s'endormit contre l'arbre fleuri, en pensant ne jamais se réveiller.

 

Une douce chaleur le réveillât pourtant. Une chaleur différente de celle de l'ardent soleil africain. Non, un doux embaumement de tous ses sens. Sahri ouvrit enfin les yeux, pour se retrouver nez à nez avec une femme. La plus belle femme qu'il n'avait jamais vue.
Cette femme à la peau de porcelaine, et aux traits fins semblables à ceux d'une déesse, était assise à ses côtés, adossée contre l'arbre. Elle était simplement vêtue d'un linge transparent aux belles teintes rosées, laissant apparaître ses courbes dessous. Une véritable déesse du désert, une de ces naïades comme l'on en voit dans les contes de fées.
L'homme se redressa, et remarqua qu'il n'avait plus faim, ni soif. Peut-être se trouvait-il au paradis. Il tendit la main vers cette apparition, espérant qu'elle ne soit pas une simple illusion. L'arbre au-dessus d'eux était toujours paré de ses larges roses, mais qui avaient viré au rose, comme sur le voile de la princesse. Elle prit lentement la main de Sahri pour la poser contre son sein. Puis doucement, elle ferma les yeux et déclama d'une voix aussi mélodieuse que le chant de la rivière :

« Nous sommes ici, dans ce monde banni. Tu es condamné à la mort, à perdre tous tes trésors. »

Elle serra un peu plus fort les mains de Sahri contre elle, et ouvrit ses yeux. Son iris était tout aussi rose que les roses de l'arbre.

« Mais si tu le souhaites, je peux te sauver. Si tu le souhaites, contre la mort, tu peux gagner. »

 

La déesse se leva en s'appuyant contre le tronc de l'arbre. Son linge rose et transparent épousait les formes de son corps, et tous ses mouvements, même quand elle tendit son bras pour attraper l'unique pomme de l'arbre, sur une des plus hautes branches. Un instant, Sahri eut l'impression que son bras s'allongea pour l'attraper, mais il en conclut vite que les mirages du désert étaient encore derrière cette illusion. En y réfléchissant, cette femme était irréelle, elle ne pouvait être que le fruit de son imagination.

Elle tendit devant ses yeux, la pomme de l'arbre. Rouge comme les roses qu'il avait vus avant, elle avait l'air juteuse, délicieuse. Même si les pommes ne pouvaient pousser dans le désert. Elle se rassit, et tout en époussetant la pomme, elle continua son discours :

« Cette pomme, si tu l'avale, te ramènera auprès des tiens. Sur la terre. Mais rien n'est gratuit. En contre-partie, cette pomme rongera chaque parcelle de ton être, et tu finiras par mourir dans d'atroces souffrances... »

Une larme rosée coula sur sa joue. Elle l'essuya avec son poignet avant de continuer :

« Mais je ne veux plus voir personne mourir dans ce désert. Je t'en prie, pars, et rejoins ta famille. Beaucoup de gens t'attendent là-bas. »

 

Sans hésiter, l'homme croqua silencieusement dans la pomme. Le jus frais et sucré coula dans sa gorge, lui redonnant un regain d'énergie. De toute façon, ce ne devait être qu'un rêve, ou quelque chose qui s'y rapprochait, après sa mort. Dans l'esprit de Sahri, ça sonnait comme un test, le purgatoire avant de l'envoyer au paradis ou en enfer. Mais une chose était sûre, il voulait "vivre", où que ça le mène.

 

Le blanc, pur, partout autour. Du blanc à droite, à gauche, en dessous, au-dessus, partout. Aveuglé, Sahri plissa les yeux, pour finalement distinguer deux infirmières au-dessus de lui, et sa femme à son chevet. Il s'en était sorti. Pourtant, personne ne semblait sourire près de lui.

Une infirmière s'adressa à lui :

« Monsieur Sahri, quelqu'un vous a retrouvé dans le désert, à moitié mort, et vous a déposés ici. Néanmoins, nous avons décelé en vous un poison inconnu, et... »

L'autre infirmière prit le relais :

« Monsieur Sahri, vous n'avez plus que quelques mois à vivre. »

En jetant un œil vers sa femme, il vit qu'elle pleurait. Elle portait dans ses bras une toute jeune petite fille, à la peau blanche et l'iris rosé.  

 

[Texte réalisée à partir des mots "Rose", cette image et cette musique. Merci à @Minephilik, @FaizeRPG et @Kiiwix804 pour leur participation! Et remerciements tout particuliers à Mister M.D pour le choix du prénom ;) . N'hésitez pas à commenter, à partager, à voter ce texte. Et n'oubliez pas de me suivre sur twitter pour me proposer des mots, des images ou des musiques pour le prochain texte! (@JudyKagamine) Sur ce, bonne lecture!]

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Commentaires
L
mais mais mais... La pomme... c'est le fruit défendu? La petite fille en est le résultat? c'est ça? Je reste toujours emplie d'incertitude à la fin de tes textes. Pas comme quand on reste sur sa faim. Mais comme dans une étrangeté rassurante.
N
Quand un auteur arrive à faire dressé les poils de ses lecteurs, c'est qu'il a atteint son but.<br /> <br /> La chute est splendide, tout comme l'histoire. Magnifique. Encore bravo.
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