Toyoda

La mélodie du vent en fond musical, les feuilles à ses pieds, le vide dans sa tête. Juste une seconde, Mélissa cesse de respirer. Mais rien ne lui prouve qu'elle arrêtera de pleurer.

Et elle tourne, et elle tourne, autour de ce petit point fixé dans le vide de l'univers. Mélissa est seule, si seule qu'elle en pleure. Sans vraiment comprendre ce qu'elle ressent.

Dans ce jardin d'enfants, les couleurs se mélangent devant ses yeux tandis qu'elle tourne, qu'elle tourne jusqu'à en être fatiguée. Les larmes coulent sur ses joues sans qu'elle puisse les arrêter. La tristesse lui fait perdre la tête petit à petit. Qu'est-ce que Mélissa attend sur son tourniquet, dans ce parc d'enfant ? Peut-être qu'on la sauve de son morne quotidien dont elle est prisonnière.

Concrètement, Mélissa n'a aucune raison de pleurer. Elle a des amis, de la famille, des gens qui l'aiment, mais c'est si ennuyant. Elle pleure de savoir que demain sera semblable à aujourd'hui. Que jamais elle ne vivra d'aventures romanesques comme ont en lis à l'école.

Tout son corps se laisse transporter par le tourniquet, elle laisse juste pendre son pied pour le poser parfois au sol et user de ses dernières forces pour pousser le sol mou derrière elle. Les feuilles mortes restaient parfois accrochées à ses chaussures pour retomber au sol quelques instants plus tard, en tourbillonnant dans les airs. À quoi ça rimait, tout ça ? Pourquoi était-elle née si c'est pour se noyer dans la foule des inconnus ? À quoi tout ça servait, si elle vivrait toujours une vie ennuyante, bercée par le quotidien ? Pourquoi tout ça ? Mélissa ne comprenait pas. Juste une mélodie résonnait dans sa tête, celle du vent.

Autour d'elle, personne ne ressent ça. Bien sûr, elle a des amis, Mélissa n'a pas de quoi se plaindre. Mais elles ont des rêves plein la tête. Toutes douées dans un domaine. Le sport, le dessin, l'école... Tout le monde est doué dans un domaine. Tout le monde, sauf la petite Mélissa qui pleurait.
Tout ce qu'elle faisait de sa vie, c'était suivre ce morne quotidien duquel elle était prisonnière. Rien ne l'y arracherait, jamais. L'espoir s'était envolé avec tout le reste, il ne restait rien dans le cœur de Mélissa, qui se sentait en proie à la solitude.

La nuit commençait à tomber sur ce petit parc d'enfant, mais le tourniquet tournait encore, emportant Mélissa dans sa danse. Dès qu'elle voulait se lever, la petite Mélissa repensait au lendemain qu'elle revivrait, comme tous les jours. Elle irait au collège, elle rirait avec ses amis, elle irait s'amuser avec sa famille ce week-end, et elle partira en vacances cet été. Mais tout ça est si banal. Cette vie -à, elle n'en veut pas.

Pourtant, Mélissa savait que dès que l'heure du couvre-feu de vingt heures approcherait, elle rentrerait chez elle, sans y penser, et la petite irait se coucher. Les larmes lui remontaient aux yeux. C'était un cercle infini que rien ne briserait. Prisonnière.
Mélissa n’espérait plus rien de sa vie, et était juste résignée à vivre comme un pantin qui ne contrôle pas ses fils, dans cette vie sans intérêt. Portée par le train du quotidien.

Pourtant en ce soir ordinaire, un bruit de pas troubla le silence de la vie de Mélissa. Un craquement de feuilles mortes qui brisa tout autour d'elle. Le train avait déraillé soudainement. Le vent se tue, et Mélissa leva son visage trempé de larmes vers la fille qui approchait. Quand elle la vit, Mélissa sut immédiatement que plus rien ne serait pareil.
Ses yeux rayonnaient, ceux de l'inconnue aux cheveux roux. Une traîne rousse dans son dos, si légère qu'elle flottait au vent. Cette fille devait avoir son âge, une petite douzaine d'années, mais sa démarche avait tout de celle d'une femme. Rien ne pourrait l'arrêter, elle. Même pas un train en marche. Cette fille avait la tête haute, comme pour affronter le poids qui pesait sur le dos de tous les adolescents recourbés un peu plus chaque année. Cette fille, sans aucune hésitation, alla vers Mélissa, en plongeant dans ses yeux gris pleins de larmes. Elle souriait, cette inconnue. Un si joli sourire. En la voyant, Mélissa pensa qu'elle, elle devait avoir un rêve, un talent, elle devait réussir. Tout ne pouvait que lui réussir, elle et sa crinière de feu. Tout.

L'inconnue s'approcha avant de s’asseoir aux côtés de Mélissa sur le tourniquet qu'elle avait arrêté. Elle fixa un instant la jeune fille, avant de se tourner vers le ciel. D'un coup puissant sur le sol, Elle fit redémarrer le tourniquet. Il est parti d'un coup, bien plus vite qu'auparavant, si bien que Mélissa se fit soudain éjecter de la soucoupe tournante, pour se retrouver projeté au sol, le postérieur dans les feuilles mortes. Mélissa reprit vite ses esprits, et se rassit dans les feuilles, droites comme un piquet et rouge de honte. Après s'être fait ridiculiser ainsi, l'inconnue la trouverait sûrement idiote.

Au contraire, la rouquine ria à plein poumon devant la scène. Un rire franc, cristallin, qui sonnait bizarrement aux oreilles de Mélissa. Les larmes lui montaient aux yeux une nouvelle fois. Est-ce qu'elle se fichait d'elle ?

Après s'être remise de son fou rire, l'inconnue s'arrêta soudain, et souris à la demoiselle dans les feuilles. Elle se leva, fit un pas vers Mélissa, et lui tendit une main.

« Moi, c'est Morgane. Et toi ?

-Euh... Mélissa. » Répondit la jeune fille, en s'agrippant volontiers à la main de Morgane.

La nouvelle venue se rassit sur le tourniquet, sans lâcher la main de Mélissa, pour l'obliger à s'asseoir à ses côtés. Elle le refit tourner, emportant un tas de feuilles mortes derrière elle, qui s'envolèrent d'un coup vers le ciel empourpré. Mélissa s'était assez bien accrochée à l'attraction pour ne pas se faire projeter dans les feuilles une nouvelle fois. Les deux filles contemplaient les taches brunes s'envoler au-dessus d'elle en tourbillonnant avec elles, puis retomber au sol, avant que Morgane ne prenne la parole :

« Je viens souvent ici, le soir, quand je suis déprimée. C'est la première fois que j'y croise quelqu'un. »

Elle se tut un instant, et regarda ses pieds pendant dans la trajectoire du tourniquet pour continuer :

« La vie est si ennuyante, tu ne trouves pas ? »

Le cœur de Mélissa fit un bond dans sa poitrine. Est-ce que la jeune inconnue assise à côté d'elle comprenait ce qu'elle ressentait ?

« Je... Oui. Je trouve aussi. »

Bégayat-elle, avant d'ajouter :

« Moi aussi, je trouve. Je ne sais plus quoi faire de... »

Mélissa passa un bras devant elle. Il se fit emporter par le tournis incessant du tourniquet, et caressa quelques feuilles au passage. Elle ne savait plus quoi désigner. Sa vie tout entière sûrement.

« Ça. »

Morgane la regarda, admirative, avant de rire à gorge ouverte. Puis elle répondit :

« On est pareil. »

En fixant les yeux de Mélissa, elle conclut cet étrange échange :

« Ça te dirait de revenir ici demain ? Même heure ? J'y serais.

-D'accord. »

Sur ce, Morgane se leva et partit devant, après avoir à peine salué Mélissa d'un signe de la main. Puis elle disparut du champ de vision de la jeune fille, avalée par les vagues de feuilles. Regardant sa montre, elle remarquât qu'il était vingt heures et dix minutes.

À partir de ce jour, rien ne fut plus pareil pour Mélissa.
Toutes les vies ont un sens, même si ça peut être un simple regard, un sourire... Parfois, une personne naît pour en rencontrer une autre.

Mélissa

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